Ferroviaire : il y a bien d’autres priorités que le Lyon-Turin
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Lors du conseil municipal du 18 avril 2016, la ville de Grenoble retirera sa signature du protocole d’intention de 2007 « pour la réalisation d’une première phase des accès au tunnel international de la nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin et des liaisons entre Lyon et le Sillon alpin ». Ce protocole se substituait au à celui de 2002 (approuvé par le conseil municipal du 22 avril 2002).

En se rétractant ainsi de ses engagements financiers concernant le projet ferroviaire « Lyon-Turin », la Ville de Grenoble affirme son soutien au développement d’alternatives moins coûteuses et plus efficaces.

Historique de l’engagement de la Ville de Grenoble dans le projet Lyon-Turin

Le 22 avril 2002, le conseil municipal de Grenoble adoptait le protocole d’intention du 19 mars 2002 relatif à la ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon – Sillon alpin et au tunnel ferroviaire de Chartreuse. Ces projets d’infrastructures ferroviaires sont des maillons indispensables pour le percement d’un tunnel international, dit « de base », entre la France et l’Italie dans le cadre d’une nouvelle liaison transalpine entre Lyon et Turin.

Cinq ans jour pour jour après la signature du premier protocole d’intention de 2002, Michel Destot, Maire de Grenoble, signait à la préfecture de la Région Rhône-Alpes un second protocole d’intention, annulant et remplaçant le précédent, au nom de la Ville, aux côtés de l’Etat, de Réseau Ferré de France, du conseil régional Rhône-Alpes, de plusieurs conseils généraux, intercommunalités et communes. Aucune délibération du conseil municipal n’a accompagné la signature de ce protocole de 2007.

Que dit le protocole de 2007 ?

Au-delà d’un soutien politique à la réalisation de la liaison transalpine Lyon-Turin –projet né au début des années 1990– ce protocole engage les collectivités locales signataires à une participation financière en vue de la réalisation des accès au tunnel de base (segment Lyon- Sillon alpin).

Le protocole de mars 2007 élargit même les opérations au « shunt » de Rives sur la ligne ferroviaire existante entre Saint-André-le-Gaz et Grenoble et à un programme complémentaire de protections phoniques, notamment en Maurienne. Il modifie en outre substantiellement la participation financière des collectivités locales sans que le conseil municipal n’ait eu à en délibérer, le coût estimé des infrastructures ayant augmenté de façon importante.

Alors qu’en 2002, le département de l’Isère, la communauté d’agglomération Grenoble-Alpes Métropole et la ville de Grenoble devaient participer, selon une répartition à déterminer, à hauteur de 53,4 millions d’euros, l’enveloppe pour ces mêmes collectivités atteignait, en 2007, 129,72 millions d’euros. Aucune actualisation des données n’a été faite depuis. Or, si les protocoles avançaient 2,75 milliards d’euros en 2002, puis 4,4 milliards d’euros en 2007, les données les plus récentes évaluent à 11 milliards d’euros environ le coût de la seule partie française, l’ensemble du projet étant estimé en 2012 par la direction du Trésor à plus de 26 milliards d’euros.

coutsestimes

Le montage financier du projet apparaît encore aujourd’hui très imprécis dans sa globalité, compte tenu en particulier de l’absence de perspectives claires quant aux moyens financiers mobilisables et d’analyse socio-économique complète (y compris l’étude de scénarios alternatifs). Les dispositions de l’article 14 de la loi LOTI du 30 décembre 1982 (codifié en 2010 aux articles 1511-1 et suivants du Code des Transports) prévoient une analyse économique qui n’existe pas à ce jour, du fait de l’ignorance du mode de financement et de la prévision de tarification.

De même, l’article 4 du décret du 5 mai 1997 n’autorisait pas RFF à lancer un projet sans disposer de la garantie de la part de l’Etat que le projet n’aurait pas de conséquences négatives sur les comptes de RFF pendant la durée d’amortissement. La connaissance de ces données constitue un enjeu démocratique d’autant plus élevé que la contrainte budgétaire de l’Etat et des collectivités locales est au plus haut.

Le Lyon-Turin : un projet basé sur des projections aujourd’hui erronées !

C’est aussi un enjeu économique et environnemental. En 1991, à la genèse du projet, les projections prévoyaient une fréquentation de 19 millions de passagers par an sur la ligne. Le dossier d’enquête publique de 2012 se fonde sur 4 millions de passagers, soit presque cinq fois moins.

Voyageur

Il est également établi que le tonnage de marchandises circulant entre la France et l’Italie par les Alpes du nord (route + rail) diminue depuis 1998, alors que les prévisions justifiant ce projet affichaient des taux de croissance très élevés : en 2035 les promoteurs du projet prévoient 46 millions de tonnes de trafic, soit plus de deux fois le trafic constaté, avec des prévisions de taux de croissance du PIB de 1,5 à 2 % par an, garantis de 2007 à 2050. Ces prévisions, qui constituent le fondement de l’enquête publique de 2012, sont démenties aujourd’hui par les évolutions économiques constatées depuis. Aujourd’hui, aucun économiste ne garantit une croissance régulière dans les prochaines décennies.

tonnages

Il existe déjà des infrastructures capables d’absorber le trafic poids-lourds !

En bref ce grand projet repose sur des prévisions de trafic irréalistes alors que le Lyon-Turin ferroviaire pourrait se développer ici et maintenant. Il existe en effet aujourd’hui une capacité de 120 trains de fret par jour sur la ligne existante, récemment rénovée grâce à un investissement de près d’un milliard d’euro. Le tunnel actuel du Mont-Cenis est accessible au gabarit GB1 depuis 2011 (la norme européenne) qui permet de capter 80 % des camions circulant sur cet axe selon Réseau Ferré de France. Mais vu la désastreuse politique de démantèlement du fret ferroviaire menée en France, il n’est traversé que par une vingtaine de trains par jour et utilisé en dessous du quart de sa capacité (17,5 millions de tonnes de marchandises par an à mettre au regard des 21,7 millions de tonnes en 2014, soit 18,4 millions de tonnes qui ont traversé les Alpes via les tunnels routiers du Mont-Blanc et du Fréjus et les 3,3 millions de tonnes par le tunnel ferroviaire du Mont-Cenis en 2014). La Suisse et l’Autriche démontrent que sur des lignes similaires en montagne, il est possible d’atteindre, dès aujourd’hui, les objectifs fixés en matière de report modal de la route vers le rail.

Un projet inutile, critiqué par la Cour des Comptes, poussé par les lobbys

Si, à l’origine du projet et au regard des études qui existaient alors, une nouvelle liaison ferroviaire pouvait se justifier, en 2016 elle apparaît inutile. Déjà le 1er août 2012 dans un référé, le Président de la Cour des Comptes Didier Migaud énumérait de façon détaillée les points critiques exposés dans cette délibération. Mais la puissance des lobbys à l’oeuvre, certains sincères dans leur démarche d’investissement dans une nouvelle infrastructure ferroviaire, d’autres surtout pressés de profiter d’une manne publique payée par les contribuables français, italiens et européens de plus de 26 milliards d’euros de travaux publics, a été plus forte que l’analyse financière rationnelle.

L’argent public ne doit pas être gaspillé, c’est encore plus vrai dans un contexte de contrainte budgétaire croissante !

Le maire de Grenoble a saisi en mars 2016 le Préfet de Région, comme cela est prévu à l’article 8 de la convention entre Etat et collectivités locales, d’une demande de réunion du comité de pilotage. En effet, alors que chaque collectivité locale est instamment priée par le gouvernement de se recentrer sur son «coeur de métier», dans un contexte de contrainte budgétaire croissante, il devient urgent de savoir quelles sont les positions des uns et des autres.

Le Préfet de Région a indiqué à la Ville de Grenoble, dans un courrier en date du 10 avril 2016 qu’il allait réunir le comité de région sur ce sujet d’ici cet été. Dans la perspective de cette rencontre, il convient que le Conseil municipal de la Ville de Grenoble se positionne au regard des éléments exposés ici et de la situation financière contrainte qui n’est plus à démontrer.

Recentrer les investissements sur des projets utiles et vraiment structurant

La réalité des finances publiques ainsi que les incohérences du dossier commandent que l’ensemble des décideurs publics, localement dans les Alpes, à l’échelle régionale mais également au niveau de l’Etat et de l’Union européenne, abandonne ce projet et concentre ses ressources sur les transports du quotidien, d’une part -en particulier la ligne TER Grenoble- Lyon reconnue comme « malade » par la SNCF elle-même et sur des politiques volontaristes de report modal de la route vers le rail ou d’autres moyens moins polluants, d’autre part.

Pollutaxe, autoroutes maritimes, nouvelle motorisation des trains, plateformes ferroviaires logistiques, restrictions de circulation pendant les pics de pollution… constituent une palette de solutions bien moins coûteuses et plus efficaces qu’une nouvelle infrastructure. Avant que de nouveaux travaux de reconnaissance ne débutent à l’été 2016 côté français (percement d’une galerie de 9 kilomètres), la ville de Grenoble exprime ainsi son opposition à ce projet. Elle se retire par conséquent du protocole d’intention de 2002 remplacé par celui de 2007.

De surcroît, les montants financiers évoqués sont évidemment insoutenables pour la Ville au regard de sa situation budgétaire et de sa capacité d’investissement pour les prochaines années. Le bouclage financier de ce projet, qui n’est toujours pas assuré, supposerait un engagement de la Ville se chiffrant en dizaines de millions d’euros. D’autant plus que le 24 février 2012, le Conseil départemental de l’Isère a délibéré pour restreindre sa contribution financière en critiquant le fort impact environnemental et l’envolée des coûts du projet pour un gain de temps « voyageurs » limité à 9 minutes sur le trajet Paris-Grenoble et avec un report modal fret incertain et lointain.

Un intérêt limité pour les Grenoblois

Si l’intérêt départemental est faible, l’intérêt communal est encore moins établi pour Grenoble :

  • Pour les voyageurs, le gain de temps sur Paris est chiffré à 9 minutes pour la 1re étape et à 13 pour la seconde, le temps de trajet total passant de 2h55 à 2h46 puis 2h42, à une échéance encore virtuelle de 2035 à 2050.
  • Pour le fret marchandises, la part de trafic ferroviaire entre Grenoble et l’Italie concerné directement est estimée à 4 trains par jour dans le dossier de la DUP 2012.

tempsgagne

5 réflexions au sujet de “Ferroviaire : il y a bien d’autres priorités que le Lyon-Turin

  1. Nous avions été laisses complètement dans l’ignorance d’une participation financière de la ville de Grenoble même si nous savions que Destot était un farouche partisant de cet Grand projet inutile et imposé.
    Bravo pour ce désengagement qui est une première étape vers un abandon du projet. Il faut bien montrer l’exemple peut être d’autres vont commencer à réfléchir.

  2. Bravo à Eric Piolle et à son équipe! Je travaille à Grenoble et j’habite Voreppe.Je prends le train, comme beaucoup de Voreppins. Les conditions de la ligne St André le Gaz-Grenoble se dégradent continuellement. Nous envisageons, sur les quais de la gare, de reprendre chacun nos voitures, fatigués des retards, trains bondés, annulés sans explication… Nous avons tous fait le choix du transport en commun: utile en terme de temps mais aussi écologique. Si nous voulons que Grenoble respire, il faut encourager les travailleurs venant de la périphérie à utiliser les transports en commun, à condition que ceux-ci ne deviennent pas une source importante de perte de temps!Bravo pour votre courage face aux pressions nationales et autres!

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