
Conseil municipal du 18 avril 2016 – Jacques Wiart présente la délibération par laquelle la Ville de Grenoble se retire du protocole d’accord 2002-2007 sur le financement du Lyon-Turin
Cette délibération propose que la ville de Grenoble se retire du protocole d’intention relatif au projet Lyon-Turin. Je vous présente d’abord un bref rappel des éléments marquants de ce projet, pour énoncer ensuite notre analyse, puis les motivations de la délibération proposée.
Historique du projet Lyon-Turin
Sur cette carte on voit le schéma de principe de ce projet : relier Lyon à Turin, via plusieurs tunnels, en premier lieu le tunnel de base franco-italien (57 km), mais aussi un tunnel sous la Chartreuse et un tunnel sous Belledonne. D’autres tunnels de plus petite importance sont aussi prévus. On peut dire qu’il s’agit vraiment d’un projet d’infrastructure de très grande importance et qui (pour faire simple) veut dépasser le schéma ferroviaire historique dessiné au XIXe/XXe siècle.
C’est un projet qui remonte au début des années 1990 : une histoire de 25 ans environ, marquée par toute une longue série d’études, de plus en plus détaillées, 6 consultations de territoires, 11 décisions ministérielles et plusieurs accords internationaux. Enfin, en 2012, une enquête de déclaration d’utilité publique sur les phases 1 et 2 des travaux partie française (phase 1 : Lyon-Chambéry, à dominante voyageur/ Phase 2 : Avressieux – St-Jean de Maurienne, pour le fret).
Les enjeux de ce projet sont en soi tout à fait respectables : il s’agit de reporter sur le rail une partie importante du fret marchandises, mais également du trafic voyageurs ; donc de créer en quelque sorte une autoroute ferroviaire à grand gabarit et grande vitesse pour relier la France à l’Italie et accompagner la dynamique des échanges entre nos deux pays.
A cette époque (années 1990), les prévisions de croissance étaient fortes et motivaient le projet : 19 millions de passagers/an sur la ligne et 46 millions de tonnes de marchandises en 2035 (21,7 M en 2014).
Des enjeux revendiqués à la fois économiques et environnementaux. En effet, l’empreinte carbone et pollution de l’air de transport ferroviaire est beaucoup plus faible que celle du transport routier et des déplacements automobiles.
La participation financière iséroise
En 2002, la ville de Grenoble s’est engagée par délibération à participer au financement d’une première phase de travaux entre Lyon et Chambéry, pour un montant total de travaux estimé à 2,75 milliards d’euros. Sur ce montant, le CG38, la Métro et la ville s’engageaient à financer à hauteur de 53,4 millions d’euros, sans que la participation financière de chacun soit précisée.
En 2007, ce protocole a été revu à la hausse avec un montant de travaux à 4,4 milliards d’euros, soit une participation iséroise, ville comprise, à 129,72 millions d’euros. A noter qu’il n’y a pas eu de nouvelle délibération municipale sur ce protocole 2007.
Enfin, les données récentes estiment le coût total à 11 milliards d’euros, soit grosso modo une participation de l’ordre de 330 millions d’euros… Chiffre à prendre avec précaution, car pas de protocole nouveau depuis 2007.
Nous souhaitons nous retirer du protocole d‘accord pour les raisons suivantes :
Analyse stratégique de pertinence
1°) Les prévisions de trafic établies dans les années 90 sont désavouées par les réalités commerciales actuelles et les perspectives futures :
- En 2012, le document de DUP annonce une fréquentation voyageurs de 4 millions de passagers/an, soit 4 à 5 fois moins que le chiffre initial des années 90.
- Le trafic fret stagne, voire diminue, depuis les années 1998. La ligne de fret ferroviaire par Modane (tunnel du Mont-Cenis) possède une capacité de 120 trains par jour, or celle-ci n’est utilisée qu’à hauteur de 20 % environ. Cette ligne aurait pourtant la capacité de capter 80 % du trafic marchandises actuel France-Italie.
2°) De plus, cette ligne a été modernisée pour accepter de gros gabarit (B1), ce qui a justifié un investissement public de l’ordre de 1 milliard d’euros.
- Cette sous-utilisation est liée au déficit chronique de performance du fret ferroviaire français, par un défaut de volonté politique, contrairement à l’exemple que donnent nos voisins suisses et autrichiens, avec pourtant les contraintes fortes de la géographie alpine.
- La raison voudrait donc que l’on utilise d’abord une infrastructure existante avant d’en créer une nouvelle.
Analyse financière
3°) La dérive des coûts est réellement très inquiétante. Nous les avons indiqués pour la partie française. La Cour des comptes a émis un référé le 1er août 2012 exposant de façon détaillée un grand nombre de points critiques sur le bien-fondé de ce projet. Le coût global des travaux est désormais estimé à environ 26 milliards d’euros.
- Dans l’état actuel de crise des finances publiques, le financement de ce projet est-il réellement à la portée de notre pays ?
- L’effort financier pour ce projet, s’il était malgré tout réalisé, serait si considérable qu’il assécherait les possibilités de financement public de l’amélioration de la desserte ferroviaire régionale pour quelques décennies : ligne Lyon-Grenoble, sillon alpin (Valence – Annecy – Genève), ligne vers Gap, etc.
- Enfin, pour revenir à Grenoble, notre volonté est de maîtriser la dépense communale, avec un objectif de refondation de notre service public, et la nécessité de priorités très fortes sur les investissements (le « Plan école » notamment : 60 millions d’euros). Or l’application du protocole Lyon-Turin demanderait à notre ville une dépense de plusieurs dizaines de millions d’euros, ce qui ne semble pas tout simplement possible.
Intérêt pour la ville de Grenoble
4°) Le bénéfice pour Grenoble apparaît très faible : 9 mn économisées sur le TGV Paris Grenoble (2h 55) à l’horizon 2020-2030, et peut-être 13 mn en 2035-2050 è 3 à 6 mn sur le trajet Lyon-Grenoble. Les gains sont vraiment trop minimes au regard de la dépense consentie, et ne peuvent justifier l’engagement de la ville.
- A l’inverse, le bénéfice est beaucoup plus patent pour Chambéry et la Savoie, puisque les gains de temps sont de 20 mn à plus de 30 mn, selon les trajets entre Lyon et Paris.
En résumé et conclusion, il apparaît prudent et responsable que notre ville se retire des protocoles 2002 et 2007, car les coûts en jeu seraient insoutenables pour les finances communales, et l’intérêt et la compétence communale s’avèrent clairement absents de ce projet.
Pour ces différentes raisons, dans cette délibération, outre notre retrait du protocole d’accord 2002-2007, nous exprimons aussi notre opposition à la réalisation de la liaison Lyon-Turin, tout en affirmant notre soutien aux politiques de développement du transport régional et local passagers (tram-train), et au report modal route-rail, par une modernisation radicale du modèle d’entreprise publique pour le fret ferroviaire.
3 réflexions au sujet de “Lyon-Turin : des coûts insoutenables pour les finances de la Ville”
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Par rapport au schéma présenté les 1ere et 2eme phase qui concerne les accès sont reportées après la réalisation du tunnel de base. Lors du Committee on Budgetary Control du 20/04/2016, Hubert Du Mesnil, pdt de TELT, a confirmé que les accès ne se réaliseraient que si les trafics les justifiaient.
Voire vidéo à 3:25:00
http://www.europarl.europa.eu/news/en/news-room/20160414IPR23158/Committee-on-Budgetary-Control-20042016-(PM
Le projet Lyon-Turin ne résumera sans doute qu’au seul tunnel de base compte-tenu du fiasco économique qui s’annonce et la décision de le ville de Grenoble est tout à fait justifiée
Par rapport au schéma présenté les 1ere et 2eme phase qui concerne les accès sont reportées après la réalisation du tunnel de base. Lors du Committee on Budgetary Control du 20/04/2016, Hubert Du Mesnil, pdt de TELT, a confirmé que les accès ne se réaliseraient que si les trafics les justifiaient.
Voire vidéo à 3:25:00
http://www.europarl.europa.eu/news/en/news-room/20160414IPR23158/Committee-on-Budgetary-Control-20042016-(PM
Le projet Lyon-Turin ne résumera sans doute qu’au seul tunnel de base compte-tenu du fiasco économique qui s’annonce et la décision de le ville de Grenoble est tout à fait justifiée
EMISSION FR3 DU 14 MAI 2016
Bravo à l’équipe de Grenoble pour cette décision.
Bravo à mes anciens collègues : Eric Piolle, Pierre Mériaux, Corinne Bernard et tous les autres.
Bravo à Raymond Avriller et son efficacité sur le suivi des dossiers dans les plus hautes instances judiciaires.
Bravo à Jean-Paul, Alain, Christian et tous les membres des 50 Associations engagées et de la Coordination des opposants.
Bravo à Daniel Ibanez pour son engagement, pour sa capacité de travail, son courage face à la montagne qui s’élevait devant nous, sa clairvoyance et sa perspicacité, sa persévérance et son honnêteté.
Bravo à tous les militants qui ont compris l’enjeu de société que représentait ce projet complexe.
Face à nous : Toutes les forces économiques et sociales de l’ancienne économie, l’économie du siècle dernier, celle qui conduit notre civilisation à la ruine si des sentinelles ne s’y opposent pas.
Nous sommes face au lobby des pilleurs en bande organisée de l’argent public; on comprend mieux qu’ils se soient organisés pour ce « gros coup », sans doute le plus gros coup de ce début de siècle en Europe, au sein d’une association, « la Transalpine ».
Pourquoi pilleurs d’argent public ?
Parce qu’ils ont misé sur un projet qui n’a aucune utilité démontrée et dont le financement (26 Milliards d’Euros au bas mot) sera supporté par l’argent public de la France, de l’Italie, de l’Europe et de plus de 50 collectivités de Rhône-Alpes.
Ces 26 Mds seront donc pris aux contribuables particuliers et aux entreprises ;
ils sont pris sur le pouvoir d’achat des particuliers et sur la compétitivité de nos entreprises et leur capacité d’investissements.
Ils seront donnés à quelques grands groupes de TP, liés entre eux et avec la mafia sur la base de leurs factures : ce sont eux et leurs filiales bureaux d’études qui déterminent les coûts et les marges. Pour le Lyon Turin, aucune évaluation indépendante n’a été réalisée en 20 ans d’études…
Le creusement de tunnels est un créneau formidable : la concurrence n’y est pratiquement pas possible. Les marges ainsi dégagées financent, pour les contrats suivants, le lobbying, la communication et la possibilité de soudoyer les élus locaux par des remises sur leurs réalisations d’infrastructures (logements sociaux , parkings, rond-points….). Un système parfaitement rôdé depuis plus de 60 ans et rendu possible par une inflation organisée qui rendait les prêts moins douloureux.
Mais cette « création artificielle de business », sacralisée par le slogan du XX° siècle « Quand le bâtiment va, tout va ! », n’est plus possible :
Il n’y a plus d’inflation et les déficits publics augmentent partout
Les effets secondaires d’infrastructures inutiles ou dangereuses dépassent le coût de leurs réalisations (réparation des impacts écologiques, mais souvent irréversibles), retraitement des déchets du nucléaire (une « ardoise » considérable pour la génération de nos enfants).
La ponction considérable de ces infrastructures inutiles sur les budgets publics rend l’entretien de l’existant impossible. Et malgré toutes ces considérations, qui sont évidentes dans les secteurs des transports et de l’énergie, les entreprises continuent à se précipiter sur les subventions publiques et les contrats pour réaliser de infrastructures inutiles ou nuisibles. La notion de « libéralisme » a perdu tout son sens. Les « politiques » sont hors sol et ne pensent plus qu’à leur réélection. La connivence d’intérêts fait le reste. Mais plus pour très longtemps !
L’alerte que nous lançons avec l’affaire du Lyon Turin n’a rien à voir avec la politique politicienne ou avec des préoccupations de riverains. C’est une alerte sur les fondements même de notre économie.
Noel Communod, ancien conseiller régional